Burkina Faso conjurer les démons de la division pour résoudre l’épineuse question de l’insécurité

Burkina Faso : conjurer les démons de la division pour résoudre l’épineuse question de l’insécurité

L’état des lieux sur la situation politique et sociale permet de comprendre que la sécurité, les élections et la réconciliation vont cristalliser un bon moment encore les tensions au sein de la société burkinabè.

L’insécurité et la réconciliation apparaissent comme les préoccupations sociales sur lesquelles les élites politiques se positionnent en vue de montrer l’importance qu’elles y accordent et occuper une place prépondérante dans l’équilibre des forces politiques. On doit prévoir qu’elles vont constituer un enjeu polarisant les débats électoraux. Les débats seront particulièrement dominés par le problème de l’insécurité que certains groupes politiques placent toujours au premier rang des dossiers à traiter avant la tenue des élections. On assistera davantage à son instrumentalisation par les acteurs politiques dans leur stratégie de conquête ou de conservation des postes.

Les groupes politiques, toutes tendances confondues, entendent bien tirer bénéfice de l’insécurité, bien que celle-ci demeure le grand inconnu pour la tenue intégrale et sans contestation des élections dont le report n’est plus à l’ordre du jour, selon l’accord politique conclu entre la majorité présidentielle et l’opposition réunit dans le CFOP. Réunis en session extraordinaire le 25 août 2020, les députés ont adopté une révision à minima du code électoral qui autorise la tenue et la validation des élections à partir des localités où les conditions sécuritaires le permettent. Il n’est pas évident que cette révision, adoptée par une large majorité (107 des 127) suffise à lever les inquiétudes soulevées dans le rapport parlementaire préconisant le découplage des élections et le report des législatives en novembre 2021.

On doit également prévoir qu’à l’approche des élections, les attaques terroristes et les conflits ethnoculturels pourraient s’intensifier. L’hypothèse que nous retenons ici est que les changements qui peuvent et qui doivent intervenir dans la politique sécuritaire ne peuvent pas modifier fondamentalement les plans des groupes armés terroristes. Ceux-ci peuvent s’inscrire dans une guerre psychologique qui impacterait négativement le déroulement des élections et la participation des citoyens dans les zones d’insécurité.

Comme à l’approche de chaque échéance électorale, les recompositions du paysage politique vont se poursuivre avec davantage de fragmentation et la constitution de groupes d’alliance dans la perspective des législatives. De nombreuses formations politiques enregistrent déjà des démissions, des mécontents et des positionnements sur les listes électorales. Ces mécontents rejoignent des groupes d’indépendants pour disputer le terrain à leurs formations politiques d’origine. Neuf candidats à la présidentielle, des « poids lourds » de l’opposition politique ont déjà conclu un accord d’alliance de soutien au candidat le mieux placé au second tour en vue de battre le président Kaboré. Selon les analystes politiques, cet accord, aussi « historique » soit-il, témoigne de la persistance des rivalités et de l’impuissance de l’opposition à contrôler le processus politique. Comment peut-on aller en rang dispersé au premier tour pour espérer réaliser un second tour ? Comment des candidats qui se vouent une haine les uns contre les autres respecteront-ils leur parole en cas de second tour ? Comment se rassurent-ils que l’électorat suivra les consignes des candidats ? Autant de questions qui amènent les analystes politiques à conclure que « l’accord n’est beau que pour la communication politique »[1]. Avec une telle stratégie, il paraît difficile pour l’opposition, dans les élections à venir, qu’elle puisse être une force capable de battre le candidat du pouvoir, en raison des divisions et des inimitiés qui la caractérisent. Toutefois, la stratégie de l’opposition offre une autre analyse intéressante de la perspective politique future. On peut considérer que les fragmentations et les alliances, même contre-nature qui se font, visent à multiplier les chances de glaner des voix capables d’offrir une majorité à l’opposition au parlement. Si ce scénario se réalise, on peut s’attendre à une cohabitation qui, dans le meilleur des cas, facilitera la réconciliation nationale, ou, dans le cas contraire, créera une crise postélectorale. En tous les cas, l’issue des élections et la configuration prochaine de l’Assemblée nationale seront déterminantes pour le processus de réconciliation et la stabilité politique du pays.

En dépit des risques de contestations possibles, les élections de novembre prochain se présentent comme l’une des plus ouvertes, libres et transparentes des processus électoraux du Burkina Faso depuis 1990. Les années à venir, les oppositions politiques demeureront et s’affirmeront sans doute aussi fortement que dans la période actuelle. Mais étant donné les empressements de la classe politique pour la réconciliation nationale, les élections pourront ouvrir cette voie. Sans doute au sortir des élections, la société civile et la communauté internationale accentueront-elles la pression sur la classe politique en vue d’une issue à la situation actuelle du pays. Des diplomates européens en poste à Ouagadougou ont exprimé leur souhait de voir la classe politique s’engager sur la voie de la réconciliation : une réconciliation politique entre les acteurs de la scène politique, mais aussi et surtout une réconciliation des communautés qui, seule, peut restaurer la coexistence pacifique et la sécurité dans les zones de conflits[2]. Des initiatives autonomes de réconciliation et de pardon sont déjà à l’œuvre dans certaines régions. Le gouvernement et ses partenaires pourront, sans les influencer, accompagner ces initiatives qui, en dépit des limites qu’elles peuvent comporter, attestent de la capacité de résilience des communautés.

On peut considérer que le Burkina Faso est dans une transition politique et que les problèmes auxquels il est confronté sont de l’ordre normal des choses. Toutefois, il ne semble pas que certains de ces problèmes, en l’occurrence l’insécurité et les conflits intercommunautaires, puissent être surmontés à moyen terme. La lutte contre le terrorisme et le djihadisme a favorisé une large circulation des armes légères dans les régions sous domination terroriste. Un vaste marché des armes s’est développé en réponse au besoin en armes des groupes armés terroristes et des populations qu’ils soumettent. Un officier militaire a constaté que dans de nombreuses localités du Nord et de l’Est du Burkina Faso, le terrorisme a changé l’ordre des priorités de la vie des habitants. Pour de nombreux jeunes dont le souci d’il y a encore quelques années était de se procurer une moto ou d’ouvrir un commerce, la préoccupation fondamentale est devenue l’obtention d’une arme qui coûte sur le marché noir entre 600 000 et 700 000 FCFA. Outil de protection, l’arme semble être devenue aussi un outil de promotion sociale. Une victoire sur les groupes armés terroristes ne mettra pas aussitôt fin à la circulation de ces armes, qui pourraient alimenter l’insécurité pendant encore une longue période. Ces armes « offriront de la nourriture et de l’argent facile » à des bandits qui ne trouveront plus dans le terrorisme ou les groupes d’autodéfense le moyen de s’enrichir. Un ancien élu d’une commune du Sahel s’inquiète que ces armes ne soient utilisées dans les antagonismes sociaux et devenir des outils de domination sociale et politique. Pour cet élu, le contrôle de la circulation de ces armes et le désarment des « milices » est un grand défi pour la sécurité dans beaucoup de régions.

Il semble évident également que quelle que soit la volonté de l’Etat, l’insécurité foncière ne peut pas être résolue ni à court, ni à moyen termes. Dans les régions du Sud, de l’Est, de l’Ouest et du Sud-ouest, elle va demeurer pendant longtemps une source de tension entre les populations d’origine et le flux de migrants qui viennent principalement du Nord et du Centre du pays. Les populations originaires de ces régions, devenues par endroit minoritaires, se sentent dépossédé de leurs terres. Développant le complexe de la « minorité dépossédée », elles entrent en confrontation avec les allogènes ; ce qui débouche souvent sur des conflits sanglants. Les doléances présentées par les chefs coutumiers de la Boucle du Mouhoum (l’Ouest) au gouvernement lors d’une concertation régionale des chefs coutumiers à Koudougou[3], portaient essentiellement sur la résolution des préoccupations agraires et foncières qui contribuent à dégrader la cohésion sociale dans la région.

La maîtrise des régions sous influence terroriste et djihadiste devrait également être envisagée dans le long terme à travers une approche policière capable de comprendre les causes profondes des conflits. Des sources militaires indiquent que les terroristes sont majoritairement des Burkinabè[4] et expliquent la complexité de la lutte qui doit prendre en compte d’autres dimensions :

« S’il ne s’agissait que de terroriste étrangers, les forces de défense et de sécurité auraient éradiqué le terrorisme sans qu’on ait besoin d’intervention extérieure. Mais nous avons à faire en grande partie à des Burkinabè ; ce qui demande la prise en compte en compte d’autres dimensions comme la protection des droits humains et la compréhension des causes profondes du terrorisme »[5].

De plus en plus, des officiers du renseignement soutiennent que la crise sécuritaire actuelle est une mise en cause de l’Etat régalien, qui exige que soit privilégiée une approche basée sur la compréhension des causes des conflits. Non pas que le militarisme ne soit pas susceptible de produire des effets positifs, mais sa méthode d’invention de l’ennemi (intérieur) à neutraliser conduit à l’aggravation des conflits. Le déploiement militaire, pour être adéquate, doit prendre en compte la dimension de la sécurité préventive qui place l’enquête policière au centre des interventions. Cette approche est nécessaire dans la recherche des solutions durables au terrorisme : à bien des égards, la soustraction et l’insertion socioprofessionnelle des ex-combattants terroristes et/ djihadiste passent par-là.

Source: https://goreeinstitut.org/publication/perspectives-politiques-dans-les-pays-du-sahel-burkina-faso-niger-mali-et-senegal/


[1] Selon le point de vue d’un journaliste à l’émission « Débats de presse » du dimanche 23 août sur la télévision nationale du Burkina (RTB).

[2] Compte rendu d’audiences, Ouagadougou, les 18 et 24 juin 2020.

[3] Tenue les 20 et 21 juillet 2020, la concertation initiée par le ministère de l’administration territoriale de la décentralisation et de cohésion sociale a regroupé les chefs coutumiers et traditionnels de trois régions administratives : Centre-Ouest, Boucle du Mouhoun et du Nord. Elle était la deuxième des concertations régionales des chefs coutumiers et traditionnels du Burkina Faso dans la perspective de la restauration de la cohésion sociale.

[4] C’est ce qu’a révélé le chef d’Etat-major général des armées dans sa conférence de presse relative au bilan de l’Opération militaire « Otapuanu » le 12 avril 2019.

[5] Officier de l’Agence nationale de renseignement (ANR), Ouagadougou, 11 mars 2020.