Le système de conflit de L’Union du Fleuve MANO

Le système de conflit de L’Union du Fleuve MANO (Côte d’ivoire, Guinée-Conakry)

L’Union du fleuve Mano (UFM) est une organisation sous-régionale créée en 1973 par les présidents de la Sierra Leone (Siaka Stevens) et du Liberia (William Tolbert Junior) dans le but de promouvoir les échanges commerciaux entre ces deux pays. La Guinée a rejoint l’union en 1980, suivie par la Côte d’Ivoire en 2008. Elle tire son nom du fleuve Mano qui prend sa source aux Monts Nimba en Guinée et délimite ensuite la frontière entre le Liberia et la Sierra Leone

. L’UFM couvre une superficie d’environ 750 000 km2. Elle est entourée à l’est par le Ghana, au nord par le Burkina Faso et le Mali, à l’ouest par la Guinée-Bissau et le Sénégal et au sud par l’océan Atlantique. Elle dispose d’une population d’environ 40 millions d’habitants, dont l’âge médian est de 19 ans(17). La sous-région, à l’instar de l’Afrique de l’Ouest, dispose d’importantes ressources naturelles (diamants, bauxite, minerai de fer, titane, or, cuivre, bois, cacao, café, etc.) qui participent à la perpétuation de situations de conflit, latent ou ouvert.

Malgré ces importantes ressources, le niveau de développement des pays de l’UFM est extrêmement faible. Selon le classement mondial 2011 de l’indice de développement humain (IDH) établi par le PNUD au niveau de 187 pays, les quatre États membres de l’UFM font partie des pays les plus pauvres de la planète: Côte d’Ivoire (170e ), Guinée (178e), Sierra Leone (180e), Liberia (182e). D’un point de vue historique, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia sont liés à trois puissances internationales différentes, ce qui a engendré des schémas politiques et sociétaux différents. La Côte d’Ivoire et la Guinée ont hérité du modèle colonial français. La Sierra Leone est le produit du colonialisme britannique alors que le Liberia a été fondé en 1822 par une société américaine de colonisation (The National Colonization Society of America) pour y installer des esclaves noirs libérés.

Dans la période postcoloniale, les États de l’UFM ont été marqués par une conflictualité intraétatique d’envergure sous-régionale. D’origine civile ou militaire, ces nouveaux conflits qui caractérisent la période d’Après-Guerre froide ont pour enjeu la conquête du pouvoir et l’accès aux ressources naturelles. La fin du 20e siècle est une période tragique pour la sous-région, qui va connaître des conflits à répétition, parmi les plus meurtriers et cruels du monde moderne. Les guerres civiles au Liberia (1989-2003) et en Sierra Leone (1991-2002) ont ainsi fait des centaines de milliers de morts et plusieurs millions de réfugiés. Elles ont été marquées par l’enrôlement de milliers d’enfants soldats, des viols et violences sexuelles de masse ainsi que d’autres atrocités, comme les amputations et mutilations. La Côte d’Ivoire est entrée dans une dynamique d’instabilité dès le début des années 1990 avec la mort du « père de l’indépendance», Félix Houphouët-Boigny, en décembre 1993.

Après le coup d’État de 1999, le pays plonge dans la guerre civile en 2002. La reprise du processus de paix en 2007 avec les accords de Ouagadougou sera remise en cause à l’occasion des élections présidentielles de 2010-2011 et la reprise des hostilités. Enfin, la Guinée n’est pas en reste. Arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1984 à la suite du décès de Ahmed Sékou Touré, le président Lansana Conté a régné d’une main de fer sur la scène politique guinéenne durant vingt-trois ans, jusqu’en 2008. Si la Guinée fait figure d’exception en ayant échappé à la guerre civile, elle a été impliquée dans le système complexe de conflits des pays voisins du fleuve Mano avec qui elle partage une frontière commune.

Conséquence directe des conflits qui ont marqué la sous-région et de l’état d’insécurité qui règne pour les populations, des opérations de maintien de la paix des Nations unies se sont déployées dans trois des quatre États de l’UFM, dont deux sont encore en activité en Côte d’Ivoire et au Liberia. Il s’agit de la Mission des Nations unies en Sierra Leone (MINUSIL, octobre 1999- décembre 2005(21)), la Mission des Nations unies au Liberia (MINUL, septembre 2003-aujourd’hui) et de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI, avril 2004-aujourd’hui). Par ailleurs, deux pays de l’UFM, le Liberia et la Sierra Leone, ont connu l’intervention des «Casques blancs» de l’ECOMOG (« Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group » ou « Groupe de supervision du cessez-le-feu de la CEDEAO»), le bras armé de la CEDEAO.

Principales caractéristiques du système de conflit

Les pays de l’Union du fleuve Mano constituent un « système de conflit » particulier en Afrique de l’Ouest qui s’est cristallisé à partir de la guerre au Liberia au début des années 1990. Les conflits qui ont secoué les pays de l’UFM sont d’abord des crises du pouvoir interne. Toutefois, ceux-ci ont eu des conséquences sous-régionales importantes à l’origine de l’émergence d’un système de conflit. Plus de vingt ans après le début de la guerre civile au Liberia, véritable détonateur de régionalisation des conflits dans la sous-région, les enjeux sécuritaires restent très interconnectés entre les États.

Le système de conflit de l’UFM est caractérisé par la prolifération du nombre d’acteurs (forces armées, groupes rebelles, milices, mercenaires, forces de maintien de la paix) ainsi que par la multiplication des niveaux d’action (local, national, régional, international). Par ailleurs, la proximité des groupes de populations au plan ethnique et religieux, la prolifération d’armes légères et de petits calibres (ALPC), la porosité des frontières, la mobilité physique et idéologique des combattants et les mouvements de réfugiés contribuent à perpétrer un cycle de violence qui se déplace de pays en pays. À cet égard, Michel Galy parle d’une « guerre nomade » qui tourne depuis 1989 autour d’un axe allant de la Côte d’Ivoire à la Sierra Leone. En fait, si le système de conflit qui s’est noué autour du fleuve Mano apparaît comme une « guerre sans frontières », il représente aussi et surtout une « guerre de frontières » de par l’importance politico-économique des espaces frontaliers et des populations qui y transitent.

En dépit d’avancées notables dans la situation post-conflit qui prévaut actuellement dans les États de la sous-région (y compris en Côte d’Ivoire), l’insécurité reste très présente. Les conflits passés ont engendré de grandes souffrances dans la population, posant notamment les questions du retour des réfugiés, de la justice transitionnelle et de la lutte contre l’impunité. Par ailleurs, les États de l’Union restent très fragiles et doivent faire face, sous fonds de grande pauvreté et de fragilité de l’État nation, à de nouvelles menaces. Celles-ci comprennent, entre autres, les conséquences de la crise post-électorale ivoirienne, l’instabilité dans la zone sahélienne et particulièrement au Mali, une criminalité transfrontalière et un trafic de drogue en pleine expansion ainsi que l’aggravation de la menace terroriste. Dans le cadre du système de conflit de l’Union du fleuve Mano, l’étude se concentre sur l’analyse de la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire et en Guinée (Conakry).

Source: SYSTEMES DE CONFLITS ET ENJEUX SECURITAIRES EN AFRIQUE DE L’OUEST, Gorée Institute 2012