Niger stabilité politique

Niger : une stabilité politique relative fondée sur un hiatus entre la culture de paix et de tolérance sociale et une gouvernance peu consensuelle

Contexte politique actuel du Niger

L’histoire politique contemporaine du Niger est intimement liée à celle du continent Africain et particulièrement des anciens territoires de la colonie française d’Afrique noire. En effet, l’on peut dire que depuis son accession à la souveraineté internationale, le 03 aout 1960, le Niger est aujourd’hui à son 7ième régime constitutionnel et son 4ième régime militaire. Ainsi l’évolution politique du Niger peut être subdivisée en trois grandes périodes :

  • La phase de l’indépendance qui s’étale de 1960 à 1974 interrompue par le coup d’état militaire du 15 Avril 1974 ;
  • La phase des régimes d’exceptions qui s’étale de 1974 à 1991 avec la tenue de la conférence nationale souveraine ;
  • La phase démocratique qui s’étale de 1991 à nos jours.

Après avoir été un territoire d’outre-mer en 1946, puis une république au sein de la Communauté française en 1958, le Niger accède finalement à l’indépendance en 1960. Son premier président fut Hamani Diori, qui dirigea la jeune nation dont la vie politique est relativement stable jusqu’au coup d’État de 1974 qui place le lieutenant-colonel Seyni Kountché au pouvoir.

Les militaires gouvernent le pays d’une main de fer durant 17 ans avec successivement le Général Kountché et le Général Ali Seybou. La fin de l’ère militaire a été marquée par de graves problèmes qui ont pour nom la rébellion Touareg ainsi qu’une situation économique très difficile et surtout la vague de la démocratisation qui secouait le continent Africain depuis l’effondrement du mur du Berlin.

Les réformes démocratiques amorcées par le régime dit de la décrispation de la vie politique nigérienne du Général Ali Seybou finit par asseoir les bases d’une gouvernance démocratique, avec la tenue de la Conférence Nationale Souveraine en 1991. Dès lors le Niger connaitra une succession des régimes démocratiques jalonnés par des coups d’Etat militaire. Le pays est aujourd’hui à sa septième constitution. De la Conférence nationale souveraine à nos jours, quatre présidents élus et trois chefs d’Etats ont dirigé le pays dont un militaire putschiste qui s’est fait élire Président.

Comme indiqué ci-dessus, le président actuel qui devrait finir son deuxième mandat en Avril 2021 a maintes fois réitéré sa volonté de passer le témoin à un Président élu ; et à en juger par l’évolution du processus électoral conduit par une Commission électorale nationale indépendante, le Niger est bien parti pour réussir sa première alternance démocratique. En effet, les élections générales sont programmées pour le 27 décembre 2020, c’est-à-dire dans moins de quatre mois. D’ores et déjà, après le recensement électoral biométrique, le fichier est en révision sous la supervision de partenaires internationaux, au regard des énormes enjeux et du scepticisme affiché par plus d’un concitoyen.

Réussir ce passage de témoin dans le respect des valeurs démocratiques est le vrai défi eu égard au contexte sécuritaire, à la situation politique précaire dans laquelle se trouve le pays depuis 2013 avec le retrait de la majorité au pouvoir, du principal parti politique allié, le LUMANA AFRICA pour rejoindre l’opposition politique. 

L’opposition réunie au sein de la coalition des Forces Démocratiques refuse le processus électoral actuel et met en cause la neutralité de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI).

Pourtant le Président Issoufou, à moins de deux ans de la fin de son second et dernier mandat a choisi son potentiel successeur en la personne de son ministre de l’Intérieur et président du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS).  Conscient du combat qu’il a farouchement mené contre le « tazartché » ou continuité c’est-à-dire la rallonge de mandat de son prédécesseur Tandja Mamadou, Issoufou Mahamadou, sait qu’il sera jugé sur la qualité de sa succession.  C’est pourquoi, il se montre ferme et résolu à respecter la limitation constitutionnelle de deux mandats. Démocratiquement élu en 2011 et 2016, le Président Issoufou a intérêt à laisser un pays apaisé à son successeur. Et pour cela, il doit nécessairement réussir cette alternance démocratique qui passe par des élections libres, inclusives et transparentes.

Le paysage politique actuel du Niger se présente sous la forme d’un tableau consacrant une rupture totale de dialogue ou compromis entre les deux principaux groupes politiques à savoir la majorité et l’opposition. D’une part, une opposition ragaillardie par le retour de son chef de fil en la personne de Hama Amadou depuis sa libération de prison par la grâce de la covid19 et une majorité qui tient mordicus à réconforter son pouvoir aux prochaines joutes électorales.

Toutefois, le gouvernement ne cesse de réaffirmer sa volonté d’organiser des élections propres aboutissant à une alternance démocratique au Niger. Pour ce faire, il fait confiance aux dispositifs habituels d’organisation des élections au Niger (la CENI, le CNDP, le Code électoral) qui restent intacts et fonctionnent en toute transparence et indépendance.

Au même moment, l’opposition porte des réserves sur certaines dispositions du code électoral,  la constitution et  la CENI, tout en  boycottant les réunions du Conseil National de Dialogue Politique (CNDP), qui est un cadre permanent de prévention et de règlement des conflits politiques. Elle accuse le pouvoir politique en place de vouloir imposer au peuple Nigérien son candidat à la magistrature suprême.

Pourtant l’expérience démocratique du Niger est citée en exemple dans la sous-région car privilégiant un consensus sur toutes les questions sensibles à même de créer une rupture et engager le pays dans une impasse.

Quelques expériences en matière de stabilité politique au Niger

Le Niger, en dehors des multiples coups d’Etat qu’il a connu et d’une rébellion armée au début des années 90, fait école en termes de gestion pacifique de conflits. Son peuple est connu pour son pacifisme et son sens de compromis qui ont permis de maintenir jusque-là le pays dans une stabilité politique et institutionnelle acceptable en dépit des multiples soubresauts que le pays a connu depuis l’avènement de la démocratie pluraliste. Selon une étude de l’Afrobaromètre en 2015, 39% de Nigériens pensent que les compétitions électorales n’aboutissent jamais à un conflit violent.

C’est d’autant plus vrai que les partis de l’opposition ne se sont pas souvent plaints d’intimidation et ne sont jamais empêchés de compétir aux différents scrutins (aux élections de 2016 le Principal opposant était en prison, pourtant il était candidat). Selon la Dépêche N° 98, Afrobaromètre trois-quarts (74%) des citoyens nigériens affirment que les partis de l’opposition ne sont « jamais » empêchés de se présenter aux élections.

Plusieurs raisons expliquent cette situation exemplaire du peuple nigérien :

  • En effet, les valeurs culturelles, sociales et religieuses ont fait en sorte qu’en dépit des clivages sociocommunautaires, régionaux et les barrières linguistiques, le pays tient le coup de la stabilité et de l’évitement des guerres fratricides qui ont émaillées certains pays africains. Ces valeurs (parenté à plaisanterie, le mariage interethnique, la religion) prônées et renforcées depuis la nuit des temps ont réduit significativement le fossé entre les différentes régions, les différentes communautés et ont contribué à apaiser les tensions politiques entre partis en compétition pour l’acquisition du pouvoir politique. Elles constituent en outre, un ciment de l’unité et de la cohésion nationale qui restent encore inébranlables de nos jours. D’ailleurs Deux-tiers (68%) des Nigériens disent que la compétition entre partis politiques n’aboutit « jamais » ou « rarement » à des conflits violents au Niger. (Dépêche No. 98, Afrobaromètre).
  • A cela, il faut ajouter la création d’un cadre de concertation politique permanent dénommé CNDP, qui découle du compromis de l’ensemble de la classe politique nigérienne qui a su, durant toute cette ère démocratique régler beaucoup de problèmes. Une institution consensuelle qui regroupe l’ensemble des composantes de la classe politique du Niger, à savoir, les partis politiques de la majorité, les partis politiques de l’opposition et les partis non affiliés. Elle a pour mission essentielle de trancher d’une manière consensuelle toutes les questions politiques qui ont du mal à s’appliquer et qui peuvent créer une tension sociale ou politique. Les réunions du CNDP ont permis d’aplanir beaucoup de tensions politiques et sociales à même de mettre le pays en danger. Cette situation de primauté du consensus est la résultante d’une conception culturelle des Nigériens, trois-quarts (73%) des Nigériens préfèrent une opposition constructive qui participe à la gestion gouvernementale (Dépêche N° 98 Afrobaromètre du 9 juin 2016).
  • Nous avons aussi le code électoral et la constitution de la 7ième république du Niger qui ont été rédigés certes par d’éminents intellectuels mais avec la participation de l’ensemble de la classe politique et des acteurs de la société civile afin d’intégrer les différentes opinions et sensibilités politiques. Et cela dans un contexte de neutralité politique car ils ont été rédigés en 2010 lors de la transition militaire dans un esprit consensuel. Aussi, toutes les modifications que ces textes ont connues par la suite ont été faites sur la même base consensuelle au sein du CNDP.
  • La Haute Autorité à la Consolidation de la Paix a vu le jour dans les rouages des accords de paix entre l’Etat du Niger et l’ex-rébellion armée. Cette institution n’a pas certes pour vocation de traiter directement des problèmes politiques mais s’attèle à prévenir toutes les formes de conflits.
  • La CENI est une institution qui a la lourde charge d’organiser les élections les plus transparentes possibles dans le respect des dispositions de la constitution et du code électoral. Elle a été de tout temps au Niger consensuelle et regroupe l’ensemble des acteurs concernés par la question électorale. Selon le Round 6 d’Afrobaromètre 75% des Nigériens en 2015 font entièrement ou partiellement confiance à la CENI. Elle regroupe les représentants des partis politiques d’opposition, ceux de la majorité et les non affiliés ainsi que les représentants de la société civile.

Le Processus électoral actuel du Niger

Le processus électoral au Niger a été de tout temps une question centrale dans la lutte pour l’acquisition du pouvoir démocratique, à l’image des autres pays de l’Afrique au sud du Sahara. Le Niger, pays engagé dans ce processus électoral cette année (2020) ne déroge pas à la règle. En effet, les enjeux sont énormes à l’approche de chaque échéance électorale.

Une question que se posent tous les acteurs (notamment de l’opposition) :

Comment faire pour ne pas être abusé par le camp adverse ?

Toutes les stratégies de manipulation, d’achat de consciences, de fraudes se préparent et se peaufinent lors de ce processus de vote. Et l’ensemble de la classe politique, aussi bien l’opposition que la majorité, chacun dans ce processus électoral est plus enclin d’opérer des actions de fraudes pourvue que les circonstances lui soient favorables.

Dès lors le processus électoral comme dans la plupart des pays africains est source de conflits, d’inquiétudes, de méfiances, de suspicions voire même de violences. Au Niger, il a été toujours un moment de grande inquiétude et d’angoisse pour que la coexistence pacifique qui réside entre les deux principaux groupes communautaires (Haoussa et Zarma) du pays ne bascule pas en confrontation. Le pays, il faut le rappeler est assis sur un antagonisme identitaire construit autour de la rivalité Est/Ouest comme chez son grand voisin le Nigeria où les choses sont plus officielles. « Il y aurait donc une bipolarisation officieuse du jeu politique autour des tensions ethniques latentes entre les deux principaux groupes ethniques qui composent le pays à savoir, d’une part, les Haoussa à l’Est représentant plus de 60% de la population du pays et les Zarma/Songhaï à l’Ouest » (PNUD : analyse des facteurs de conflits au Niger 2014).

Tous les enjeux politiques sont naturellement focalisés autour du contrôle de l’appareil politique pour les avantages économiques que cela procure à l’élite.

Bien que, non constitutionnalisée et non conforme aux règles du jeu démocratique établies au Niger, cette coutume du partage du pouvoir politique en termes d’équilibre géographique a toujours voulu respecter cette dichotomie entre ces deux composantes majoritaires du pays depuis l’avènement de la démocratie pluraliste. Par exemple, si le Président de la République est de l’Ouest, cet usage latent veut que le Premier Ministre ou Président de l’Assemblée nationale soit de l’Est et vice-versa.

Pour ces élections Présidentielles de cette année 2020, trois variables risqueraient de compromettre non seulement la quiétude électorale mais également ce principe latent du partage de pouvoir entre ces deux groupes ethniques :

  • La première chose est que pour la première fois dans l’histoire socio-politique du Niger, un candidat d’une ethnie minoritaire (Arabe 0,04% selon les sources de infos-niger.com), Monsieur Mohamed Bazoum a toutes les chances de remporter les élections car étant le candidat du plus grand parti politique du Niger, le PNDS-Tarraya, et également le parti au pouvoir. Il semble aussi, qu’il est le dauphin déclaré du Président Issoufou Mahamadou. Son arrivée au pouvoir sera alors perçue par bon nombre des Nigériens comme un passage en force. Car dans l’entendement populaire de beaucoup de Nigériens, un tel candidat n’a aucune chance d’être élu Président de la République au Niger, en raison de son appartenance ethnique (FRS, le Niger : Stabilité durable ou équilibre précaire ? Janvier 2019). En attendant la validation des candidatures à ces élections par la cour constitutionnelle, seul juge en matière électorale, les débats politiques des salons sont focalisés sur la nationalité dudit candidat. Des adversaires politiques mettent en doute sa nationalité Nigérienne et brandissent l’article 47 de la constitution qui serait une sorte d’épée de Damoclès sur sa tête.
  • L’autre aspect qui représente un dilemme pour la quiétude électorale prochaine est la condamnation du chef de fil de l’opposition Monsieur Hama Amadou, dans une affaire de bébés importés en 2014. Cette condamnation l’écarte d’office des futures élections selon les dispositions du code électoral à son article 8.
  • Figure bien connue de la classe politique Nigérienne, l’homme a su incarner aux yeux de ses militants et sympathisants une sorte de messie de la composante Ouest du pays. L’écarté du jeu politique équivaut ni plus ni moins à les écarter des élections prochaines. Son parti à maintes fois tenté de démanteler ce verrouillage constitutionnel avec les réunions du CNDP mais sans succès. Ce point constitue d’ailleurs l’une des raisons du boycott du CNDP par l’opposition politique.
  • la question du fichier électoral biométrique risque d’exacerber également les tensions politiques. L’enrôlement biométrique réalisé à cet effet, n’a pu toucher l’intégralité de la population, du fait de l’insécurité qui prévaut dans certaines régions du pays. La situation de la COVID19 n’a pas permis d’enrôler les Nigériens de la diaspora qui, pourtant disposent de cinq sièges dans l’Assemblée nationale du Niger. Bien que la CENI vienne de confirmer que les prochaines joutes électorales se feront sur la base du fichier biométrique, beaucoup des suspicions entourent la fiabilité dudit fichier. L’opposition politique du fait de son boycott des activités de la CENI n’est pas impliquée dans le processus qui a abouti à l’élaboration de ce fichier biométrique, ce qui lui accorde toute la latitude de remettre en cause sa crédibilité.
  • Cependant, compte tenu de l’expérience que le Niger a dans l’organisation des élections libres, transparentes et inclusives (69% des Nigériens pensent que les votes sont équitablement comptés (Round 6 d’Afrobaromètre) ) et la conscience que la classe politique semble avoir développé sur cette question, on peut fonder l’espoir sur la réussite du scrutin à venir en 2020-2021.  

Source: Perspectives Politiques dans les pays du Sahel: Burkina Faso, Niger, Mali et Sénégal