Processus électoraux en Afrique: l’impact de la structure de veille

Le renforcement de la crédibilité des élections

Pour qu’une élection soit considérée comme crédible, elle doit être transparente, ouverte à tous et enregistrer un taux de participation conséquent. Les différentes fraudes et obstructions au vote (intimidations, achat de conscience, listes électorales incorrectes, etc.) biaisent l’esprit de la démocratie, d’une part parce que les élections ne reflètent pas la volonté populaire et d’autre part parce que les droits fondamentaux des citoyens ne sont pas garantis. De nombreuses contestations électorales sont relatives à ces principes. Elles résultent en général d’un manque de confiance entre les parties prenantes.

La présence d’un observateur neutre peut, dans un premier temps, rassurer à la fois les citoyens et les acteurs politiques quant à la régularité du scrutin. Lors de celui-ci, le personnel de la structure de veille collecte les données et évalue toutes les irrégularités susceptibles d’affecter la transparence et l’intégrité des opérations électorales.

La diffusion d’une information non-partisane permet aux citoyens d’obtenir une vision plus objective des événements ainsi que d’exercer une pression sur les acteurs politiques afin qu’ils se conforment aux règles du jeu électoral. De surcroît, les anomalies remontées par les observateurs font l’objet d’un traitement en temps réel afin de garantir la qualité du processus électoral. Par exemple, au cours de la mission du Gorée Institute au Togo en 2013, certains bureaux de votes ne possédaient pas assez de bulletins par rapport au nombre d’électeurs inscrits sur la liste.

Cette situation aurait pu remettre en cause l’intégrité du scrutin et dans certaines localités entrainer des troubles. Les membres de la chambre de décision ont alors contacté la Présidente de la CENI qui a assuré que le dysfonctionnement avait été corrigé dans la majorité des cas. Par ailleurs, lors du scrutin présidentiel de 2015 en Côte d’Ivoire, les électeurs étaient autorisés à voter en présentant soit leur carte d’électeur soit leur carte nationale d’identité s’ils étaient inscrits sur la liste électorale. Certains présidents de bureaux de vote, n’ayant pas reçu l’information, ont refusé l’accès aux électeurs.

La Chambre de décision a contacté la commission électorale qui a réglé la situation. La présence des observateurs lors du dépouillement permet d’obtenir la tendance nationale des résultats avec une marge d’erreur négligeable et ainsi vérifier leur degré de conformité avec les résultats proclamés par les commissions électorales nationales. Cela renforce donc la crédibilité de l’élection.

L’atténuation des risques de violence

Le processus électoral constitue un défi majeur de sécurité et de stabilité, si bien que l’équilibre social des États africains semble être lié au bon déroulement des élections. La violence électorale intervient majoritairement lorsque les adversaires politiques ne respectent pas les règles en vigueur ou n’acceptent pas les résultats comme l’expression légitime de la volonté populaire. Les vices dans le processus électoral exacerbent les tensions qui peuvent aller jusqu’à menacer sérieusement la stabilité de certains pays. Les pays au sein desquels l’Institut est intervenu avaient en général, une tradition de luttes pour le pouvoir conflictuelles voire violentes comme le Togo, la Guinée Bissau et la Côte d’Ivoire.

Des incidents peuvent survenir à chaque étape du processus électoral. Ceux-ci sont souvent mineurs au début mais leur accumulation peut aboutir à une véritable violence voire une crise politique. Ils peuvent perturber la campagne, les opérations de vote et de dépouillement ou encore menacer l’intégrité physique des citoyens et du personnel électoral. Dans un contexte tendu, chaque dysfonctionnement tel la non-disponibilité du matériel électoral, le retard dans les bureaux de vote, le non-respect du secret de vote, les tentatives de fraudes, etc. sont susceptibles de dégénérer en violences. La réactivité dans le traitement de ces anomalies permet de désamorcer les tensions et ainsi prévenir les débordements. De plus, les observateurs s’assurent de la présence de forces de l’ordre près des bureaux de vote afin de d’assurer la sécurité et intervenir en cas de problème.

Par ailleurs, de nombreux conflits sont relatifs à la non-acceptation des résultats par les parties prenantes. La mission détient une estimation des résultats de l’élection qui permet de vérifier ceux proclamés par les organes de gestion des élections. En affirmant leur conformité, les différents acteurs ne sont pas en mesure de contester et reconnaissent plus facilement le verdict des urnes. Cela prévient donc les soulèvements possibles.

Le Groupe de contact qui est une composante essentielle à la Structure de veille et siégeant au sein de la Chambre de décision joue un rôle majeur dans l’apaisement des tensions et l’instauration d’un climat de confiance entre les acteurs du processus électoral. En effet, son habileté à travailler avec l’ensemble des parties prenantes et les faire se rencontrer tout en restant neutre et équidistant permet de désamorcer les conflits en réduisant les craintes et les tensions et en facilitant la communication et la compréhension mutuelle entre les acteurs.

Par exemple, lors de la mission d’assistance du Gorée Institute au Togo, le Groupe de contact a convié les candidats des principaux partis politiques à la veille du scrutin afin d’élaborer un communiqué articulé autour de trois idées principales : demeurer dans l’esprit de tolérance pendant et après les scrutins ; inciter les togolais à ne pas recourir à des actes violents ; reconnaitre que seuls les procès-verbaux des bureaux de votes vérifiés par la CENI feront foi. La négociation qui s’est tenue au quartier général du Goree Institute à Lomé, fut compliquée et a frôlé la rupture à plusieurs reprises mais les acteurs sont parvenus à se mettre d’accord sur un texte. De même, le Groupe de contact et de médiation de haut niveau dans le cadre de la Mission d’accompagnement technique de l’Institut Gorée en Côte d’Ivoire lors de l’élection présidentielle de 2015, dirigée par le Président Diouncounda Traoré a contribué à la réalisation d’un scrutin apaisé et crédible, fort de l’accompagnement du PNUD Côte d’Ivoire.

La capacité de réponse rapide aux crises du Groupe de contact est également à saluer. Au Togo, la radio « Légende FM », très suivie à Lomé, a laissé entendre sans preuves, que le scrutin était vicié par des fraudes. Suite à cela, la Haute Autorité l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) a pris la décision de fermer la radio. Ces déclarations ont entrainé la colère des citoyens et une partie de la jeunesse à protester devant le siège de la radio armée de barres de fer. La Chambre de décision s’est saisie de cet incident sur le point de dégénérer et perturbant les opérations de vote. Accompagné du coordonnateur de la mission d’observation de l’Union Africaine, le président du groupe de contact a entrepris une médiation auprès des autorités de la HAAC afin qu’elle revienne sur sa décision et ainsi d’apaiser les tensions. Ils ont également rencontré la présidente de la Commission électorale indépendante pour l’informer des répercussions de cet incident sur les opérations de votes et obtenir une prorogation de l’heure de fermeture des bureaux de votes. Dans ce processus l’association des autorités traditionnelles et religieuses a permis de rassurer les citoyens et donc de calmer les tensions latentes.

Le renforcement de l’implication de la société civile dans le processus de démocratisation

Perçue comme un acteur non-partisan et au service du bien-être de la population, la société civile apparait incontournable dans la régulation du jeu politique. Elle possède un grand potentiel pour exercer une influence sur les gouvernements et les amener à respecter leurs engagements, néanmoins les OSC présentent des besoins en renforcement organisationnel et institutionnel pour mener à bien leurs missions.

La formation dispensée par le Gorée Institute a permis aux OSC de développer des compétences en matière électorale et ainsi de les rendre plus efficaces dans leurs actions. La structure de veille électorale est l’occasion de réunir des organisations diverses et concurrentes.

La mise en synergie de ces dernières et la mutualisation de leurs forces, leur fait prendre conscience du poids qu’elles peuvent représenter en menant des actions concertées, et ce même en dehors de la période électorale. La mobilisation des OSC leur permet de jouer pleinement leur rôle de sensibilisation, de veille, d’alerte mais également de médiation, au long du processus électoral. La Déclaration du sommet de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) d’Istanbul en 1999, stipule que « l’observation électorale peut jouer un rôle important dans le renforcement de la confiance d’un peuple dans le processus électoral ». La réussite des missions d’observation électorale menées par la société civile lui fait acquérir plus de crédibilité et renforce ainsi son implication dans la consolidation du processus de démocratisation à travers le continent.

Par ailleurs, le Goree Institute a spécifiquement mobilisé à plusieurs reprises des organisations de femmes et de jeunes pour l’observation électorale. Ces missions permettent de s’inscrire dans la lignée de la volonté des organisations internationales de favoriser des mécanismes de renforcement de la démocratie plus inclusif (cf. Résolutions 1325, 1820, 2250 des Nations unies). Les différentes Plateformes ou Cases de veille facilitent la participation active des femmes et des jeunes à la promotion de la paix ainsi qu’à un processus électoral transparent et démocratique et contribuent à la réalisation de plusieurs instruments nationaux, régionaux, globaux de promotion de la paix et de la stabilité en Afrique notamment. Progressivement, ces acteurs (femmes et jeunes) changent leur image de couches vulnérables de la société pour s’imposer comme des protagonistes incontournables du contrôle citoyen pour la bonne gouvernance. Par ailleurs, assurer la participation des jeunes et des femmes à la surveillance électorale peut inciter leurs pairs à participer au vote. Il convient également de souligner que les programmes d’accompagnement du Goree Institute dont la totalité des bénéficiaires sont africains, marquent une rupture dans la conception classique de la coopération internationale. La réussite de la collaboration Sud/Sud établie dans le cadre de l’assistance électorale prouve la pertinence de slogan que l’Institut a fait sien : « des solutions africaines aux problèmes africains ».

Les défis de la Structure de veille électorale

Malgré les réussites certaines de sa mise en place, Goree Institute a fait face à un certain nombre de challenges dans le cadre de la mise en œuvre de la Structure de veille électorale :

· Le manque de neutralité de l’administration électorale dans certains pays. Cette situation peut entraver le travail de la mission d’assistance, dans l’obtention des mandats, le déploiement des observateurs ou encore la gestion des dysfonctionnements lors du scrutin.

· Le manque de professionnalisme et de responsabilité des membres de la Chambre de décision. Les membres qui composent la chambre de décision disposent d’informations sensibles, susceptibles d’entrainer des tensions lors de la période électorale. Ces derniers se doivent d’être responsable et de faire preuve de réserve afin de ne pas provoquer des débordements.

 · Le manque de communication autour de la mission d’assistance. Elle doit être vaste et claire afin d’éviter les incompréhensions. D’une part, il faut attester de la neutralité des membres de la mission pour gagner la confiance des citoyens et des responsables politiques. De plus, certains malentendus peuvent survenir. Par exemple, lors de la mission d’assistance aux Comores, de nombreux citoyens croyaient que le but de la mission était de divulguer des résultats.

 · La disponibilité des TIC : l’utilisation des TIC a permis la réussite de la Structure de veille grâce à la communication instantanée des informations. Cependant, dans certaines localités, le matériel nécessaire peut manquer (réseau mobile, connexion internet insuffisante).

Conclusion

En réalité, l’évaluation de l’impact de la Structure de veille sur les processus électoraux est un exercice difficile surtout concernant son effet dissuasif sur la fraude, sur la confiance des citoyens dans les processus électoraux et son rôle dans le potentiel d’atténuation de la violence électorale. Cependant, dans l’ensemble des missions d’assistance déployées par le Gorée Institute, on peut affirmer que les objectifs principaux ont été atteints. En effet, l’articulation harmonieuse des trois Chambres a permis l’observation des dysfonctionnements liés aux opérations de vote et leur gestion en temps utile pour le bon déroulement du scrutin. Par ailleurs, le Gorée Institute a réussi à mettre en synergie des acteurs concurrents comme la société civile, mais également les autorités politiques et les partenaires techniques et financiers. Globalement, l’action de l’Unité d’assistance électorale a été saluée par les parties prenantes au processus électoral, comme ce fût le cas en 2012 par le président alors élu du Sénégal, Macky Sall. L’expérience de la structure de veille électorale est à capitaliser et à multiplier sur le continent. Une action élargie en dehors de la période électorale par exemple de surveillance des pratiques de bonne gouvernance peut être envisagée.