Société civile et questions de gouvernance publique en Afrique : points forts et points faibles

Société civile et questions de gouvernance publique en Afrique : points forts et points faibles

La société civile et les questions de gouvernance publique en Afrique

La société civile a partie liée avec la gouvernance, car son intérêt particulier pour tel ou tel domaine de la vie de la société la rend très attentive et très regardante par rapport à tout ce qui y touche ; mais mieux encore, cette posture la prédispose à accumuler dans son domaine d’intérêt un capital de savoirs, de connaissances, d’expériences, qui bien intégrés, lui confère une expertise avérée. C’est le cas pour les composantes de la société civile africaine les plus anciennes, les plus étroitement liées aux réalités des problèmes africains et les plus insérées dans des réseaux d’échanges d’informations.

Ainsi, dans son domaine particulier d’intérêt, la société civile manifeste-t-elle toujours une certaine compétence qui l’autorise à prétendre être en mesure de construire des rationalités correctrices et des alternatives pertinentes dans les domaines où elle intervient. En devenant un foyer d’émergence de rationalités nouvelles, la société civile acquiert le statut de force réelle de propositions pour le changement, surtout si elle sait mobiliser une partie importante de la population autour de ses nouvelles idées critiques. C’est, en fait, quand cette dernière condition est remplie que sa voix peut porter haut et qu’elle peut devenir, à bien des égards, un acteur actif dans la gouvernance alternative de la cité.

En conséquence, selon son domaine d’intervention, sa capacité de mobilisation, son leadership etc., elle participe plus ou moins, soit à la consolidation, soit à l’affaiblissement, ou encore à la formation d’un mode de gouvernance particulier. Enfin, la responsabilité dans la gouvernance est toujours partagée, surtout en contexte de démocratie où il est donné la liberté aux individus et aux associations de mener des actions publiques ciblant la politique des gouvernements dans tel ou tel domaine et d’exercer des pressions sur ces derniers en vue d’influencer les prises de décisions. Dans ce cas, toute action collective développée par les citoyens organisés, non seulement, a une vocation participative, mais indique, aussi, une orientation directive, en ce qu’elle exprime un besoin à satisfaire et des solutions à prendre en compte, pour ce faire. De ce point de vue, la société civile apparait comme un système d’actions collectives citoyennes qui invente des solutions aux maux récurrents de la communauté et les perfectionnent sans cesse par de nouvelles propositions d’actions plus performantes.

L’influence que la société civile peut exercer sur le mode de gouvernance, porte sur deux catégories d’objets distincts :

  • Les objets d’intérêt sectoriel : ce sont les secteurs d’activités visés spécifiquement par telle ou telle composante de la société civile en rapport avec son objet et son domaine d’intervention. Les avantages qui découlent de telles interventions sont liés à ce secteur uniquement ;
  • Les objets d’intérêt général : ce sont les secteurs d’activités qui exercent une influence générale sur tous les autres en raison de leur rôle central, stratégique. Les bénéfices d’une intervention dans ce secteur sont partagés par les autres.

Les composantes de la société civile dont les objets portent spécifiquement sur la démocratie politique, sociale et économique, ou encore sur les droits humains, la gouvernance et la transparence dans la gestion des affaires de la cité, les rapports sociaux de genre, l’environnement, etc., ont une influence générale sur le mode de gouvernance dans tous les autres domaines et constituent de véritables forces de changement. L’impact de leurs influences peut, cependant, varier d’un secteur d’activités à un autre, ceci étant lié aux capacités de mobilisation variables des parties de la société civile qui interviennent spécifiquement dans ces secteurs concernés. Par exemple, les acquis sur la gouvernance et la transparence obtenus grâce à l’action de la société civile qui intervient spécifiquement sur ces objets doivent être relayés par les autres composantes de la société civile dont l’intervention porte sur les autres secteurs pour qu’ils puissent avoir un véritable impact général : celle qui intervient sur les rapports de genre doit, par exemple, avoir cette exigence de transparence dans la gestion des projets où elle est impliquée.

De ce point de vue, il faut qu’il y ait une continuité dans l’action entre la société civile qui porte sur les objets d’intérêt général, comme la gouvernance, la démocratie, la transparence, etc., et la société civile qui porte sur des objets d’intérêt sectoriel, comme les conditions de travail en entreprise, par exemple, pour qu’il y ait une chance de changement général dans la pratique, et partout, sur le mode de gouvernance : les questions de gouvernance générale doivent être réappropriées par toutes les composantes de la société civile intervenant dans tous les domaines et mises en pratique, pour que la culture sur la gouvernance soit partagée en Afrique. Ainsi, le champ normatif en matière de conduite de gouvernance va-t-il s’élargir et devenir un champ normatif partagé, tant par ceux qui ont la charge de la gestion des affaires du pays, que par les simples citoyens qui peuvent subir les conséquences de cette gestion. Au Sénégal, le mouvement « Yen a marre », dont la cible initiale était la gouvernance des affaires publiques par le parti au pouvoir, a fini, pour l’avoir bien compris, par élargir le champ de ses actions à l’espace citoyen, en informant et en organisant, notamment, les jeunes sur les questions de gouvernance dans des secteurs particuliers, dont l’environnement et le cadre de vie.  De même, on a vu au Bénin des syndicats de travailleurs s’intéresser aux questions de transparence électorale et siéger dans une commission électorale.

En Afrique, la justice en tant qu’elle constitue une source généralement citée de mal gouvernance mérite une attention particulière. Car dans un état de droit, la question de la gouvernance est très liée à l’action de justice et surtout à l’influence plus ou moins grande que l’exécutif peut exercer sur le système judiciaire. En effet, quand dans une communauté les sanctions à devoir appliquer, au terme d’une action de gestion défectueuse quelconque concernant des affaires publiques, ne le sont pas, et sans aucune raison objective explicative, c’est par ce que l’impunité y constitue un élément important du mode de gouvernance publique. Elle devient même la source de toute mauvaise gestion dans tous les secteurs.

La question de la gouvernance est, également aussi, liée à l’éthique, car c’est véritablement celle-ci seule qui peut être le garant de la « bonne conduite » dans une action qu’un individu mène, car elle se comporte à l’intérieur de la conscience individuelle comme une ligne morale directrice permanente, avec ses règles de base intimes à respecter, parce qu’on y adhère intrinsèquement. De ce point de vue, tout écart de comportement, de conduite par rapport à ces règles ne peut qu’être le résultat d’un plan d’action volontaire préétabli, d’une préméditation. Ceci fait dire que le dernier rempart contre la mal gouvernance reste, en définitive, l’éthique, et avec elle, la morale, les valeurs et croyances, etc., toutes choses qui peuvent fonctionner comme des gardes fous psychologiques chez le gouvernant. Mais malheureusement, en Afrique les valeurs de solidarité parentales, ethniques, etc., sont privilégiées, souvent, aux dépens de celles de l’intérêt public et de la défense de sa cause. 

Conclusion

La société civile professionnelle est la plus ancienne, la plus organisée, la plus constante et la plus visible, et c’est elle également qui a la plus grande capacité de mobilisation. Elle est aussi la plus politisée et la plus crainte par les gouvernants. Elle a à son actif plusieurs acquis sociaux dans le domaine professionnel, obtenus grâce à des luttes constantes dont certaines ont un cachet historique même. Ensuite, dans l’ordre de la visibilité, de la mobilisation et de la médiatisation, vient la dernière-née de la société civile africaine, laquelle est la société civile des droits humains et de la gouvernance publique : ses interventions sont très relayées par les médias publics et privés, sa capacité de mobilisation est grande, surtout, sur des questions qui surgissent d’événements nationaux ayant rapport avec la démocratie, les droits humains, la gouvernance des affaires de l’état, etc. La moins médiatisée et la moins mobilisable, mais, cependant, la plus proche des préoccupations quotidiennes de survie des populations, est incontestablement la société civile socio-économique constituée, surtout, par les groupements de femmes.

La société civile culturelle et religieuse, bien qu’existante depuis fort longtemps (époque coloniale déjà) ne manifeste, cependant, qu’une visibilité bien faible, ceci étant lié à son objet qui ne constitue pas encore un enjeu important ; mais elle peut, néanmoins, avoir en certaines circonstances une grande capacité de mobilisation. En tout cas, il est à redouter qu’avec la montée de l’intégrisme religieux et le vent du renouveau culturel qui souffle, que cette société civile gagne du terrain dans les années à venir.

En définitive, la dynamique de la société civile semble liée à sa capacité d’action, (logistique, information, leadership, réseau), à son domaine d’intérêt, à sa stratégie en rapport avec la société politique, etc.

Cependant, l’Afrique, étant un continent sous développé, avec des états de droit et une démocratie encore fragile, sa société civile qui est encore jeune va souffrir, certainement, de quelques maux particuliers ; mais elle va manifester également quelques atouts. Les plus importants des points faibles, comme des points forts, sont :

Points faibles :

  • le caractère informel de nombre important d’organisations de la société civile : les promoteurs sont d’un niveau d’instruction faible et s’activent principalement dans les secteurs socio-économique et religieux ;
  • la faiblesse des ressources que la grande majorité des organisations de société civile partage : leurs ressources pour les plus grandes dépendent des bailleurs de fonds des pays du Nord, et pour les plus petites des démembrements de l’état ou de leurs propres membres. Ainsi, dépendent-elles pour la plupart, soit des bailleurs de fonds, soit de l’état ;
  • le faible impact de leurs actions, surtout pour celles qui interviennent dans le domaine socioéconomique : les ressources financières de ces organisations sont parfois détournées à des fins personnelles par leurs dirigeants. Ces derniers ne se soumettent pas à l’obligation de rendre compte, surtout à l’état et aux bénéficiaires ;
  • le manque de coopération avec l’état et ses démembrements : les raisons peuvent venir de l’état, comme des organisations de la société civile. Ces deux entités sont concurrentes sur le plan politique, car elles ont la même cible, à savoir les populations en âge de voter et, des fois, les mêmes enjeux : des leaders de la société civile peuvent se présenter comme candidats indépendants dans les élections et vouloir briguer les suffrages des populations ;
  • la préférence à intervenir plutôt dans les domaines où les bailleurs de fonds sont prêts à injecter de l’argent, ainsi que dans le milieu urbain : la dépendance financière aux bailleurs de fonds fait que ce sont ces derniers qui définissent les orientations d’action ; les commodités qu’offre le milieu urbain font également que celui-ci est plutôt préféré comme zone d’intervention par les ONG;
  • les zones d’intervention sont d’une échelle réduite le plus souvent, surtout pour la société civile nationale, ceci pouvant s’expliquer par la faiblesse des ressources et la limitation des perspectives. Les organisations faîtières qui existent, ne sont guère mieux loties en ressources, et leurs actions ne sont visibles que de façon très sporadique, et souvent pour des motifs politiques ;
  • la faiblesse du leadership des dirigeants des organisations de la société civile nationale, surtout pour les composantes qui interviennent en dehors des domaines concernant les droits humains, les rapports de genre, la gouvernance ou les relations professionnelles.

Points forts :

  • des changements importants sont intervenus dans les systèmes politique et/ou judiciaire grâce à l’action de la société civile qui intervient sur des problématiques liées à la gouvernance et aux droits humains : les alternances démocratiques survenues, la signature de conventions internationales garantissant les droits de protection des enfants, des handicapés, etc., le recul de la pratique de l’excision grâce à des textes de lois l’interdisant, la signature de conventions internationales garantissant la transparence dans les accords miniers, etc., en sont des exemples ;
  • l’accroissement de la conscience citoyenne, surtout chez les jeunes, grâce à l’action d’un nouveau genre de société civile tournée vers l’activisme citoyen ;
  • des infrastructures hydrauliques, des barrages, des rizeries, etc., qui sont construits par des ONG du Nord avec la collaboration de la société civile ont un impact visible sur les populations locales sur les plans économique et social, surtout ;
  • l’allègement du travail des femmes dans le milieu rural, grâce à l’installation de moulins à grain, la construction de puits, de jardins d’enfants, etc., effectuées par des organisations de la société civile du Nord et du Sud en partenariat, a énormément contribué à la promotion sociale et économique de la femme rurale : elle a plus de temps à consacrer à des activités lucratives ou à l’apprentissage/formation, ce qui a permis d’augmenter ses capacités d’actions citoyennes ;
  • la création et la généralisation des structures de microfinance sont à mettre à l’actif des ONG, surtout nationales, qui travaillent avec celles du Nord. Ces structures de microfinance qui existent, tant en milieu rural qu’en milieu urbain, ont permis aux groupements féminins et aux acteurs de l’économie informelle d’avoir accès au crédit financier et de développer leurs activités.